mardi 20 janvier 2009

« LEONE A HURLÉ ! », ENTRETIEN AVEC LUCIANO VINCENZONI, pt 2

Suite de notre entretien avec le scénariste Luciano Vincenzoni, qui revient ici sur sa tumultueuse collaboration avec Sergio Leone.

Nous en arrivons donc à votre collaboration avec Sergio Leone. Concernant Et pour quelques dollars de plus, d'autres personnes ont participé à l’écriture sans être créditées au générique : Sergio Donati mais aussi Fernando Di Leo.
Je n'ai jamais connu Fernando Di Leo. Il est mort depuis. Je crois qu’il avait écrit un traitement. Après, Sergio Leone et son beau-frère ont ajusté ce traitement. Quand ils sont venus chez moi, sur la couverture il y avait écrit : par Sergio Leone et son beau-frère. Il n'y avait pas le nom de Di Leo. J'ai écrit le scénario que Leone aimait beaucoup. Sergio Donati a écrit une seule petite chose dans le scénario. Cette petite séquence avec le vieux qui vit à côté du chemin de fer et dont la maison tremble quand passe le train. C'est tout. Après, j'ai lu quelque part que ce pauvre Di Leo s’était fait rouler par Sergio Leone. Mais pas par Luciano Vincenzoni. Je ne le connaissais pas.

Vous avez écrit le scénario seul ?
Absolument seul. En neuf jours. Le Bon, la Brute et le Truand, onze jours. Ce sont les scénarios que j'ai écrit le plus rapidement de toute ma carrière, avec une vélocité incroyable.

Parce que quand on parle de l'écriture des films de Leone, on évoque souvent des réunions de travail de quatre ou cinq personnes où on se racontait les scènes.
Peut-être après mais pas avec moi. Je n'ai pas travaillé sur Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il West, Sergio Leone, 1968). A l'époque j'étais fâché avec Leone. Tout le monde, Bertolucci, Argento, répètent tout le temps: « C’est moi ! C’est moi ! » Rien ! Le seul qui ait écrit le scénario, c'est Sergio Donati, et seulement lui. Quand il a terminé le scénario, avant même de l'envoyer à Leone, il m'en a donné une copie. Il faisait quatre cent cinquante pages. Je l'ai lu, c'était formidable. C'était le film. Bertolucci est un voleur. Je crois que c'est un metteur en scène sans talent. Dario Argento ? Lui, c'est un idiot. Sergio Donati a écrit le scénario seul. Quelques jours avant la sortie du film Argento a donné une interview dans laquelle il disait « Ah ! Ah ! J'ai écrit Il était une fois dans l’Ouest ». Donati m'a téléphoné et m'a demandé « Tu as lu ? Qu'est-ce que tu en penses ? » Je lui ai
dit : « Envoie-lui une lettre d'un avocat. Je suis ton témoin ». C'est un voleur. Je déteste ces gens. Il y en a beaucoup en Italie.

Argento et Bertolucci sont crédités à l'histoire. Donati est le seul crédité au scénario.
Ils n'ont rien fait dans le traitement non plus. Leone les a chassé à coups de pied dans les fesses. Ils n'ont rien écrit. Ce sont des idiots.

Sergio Leone disait que les histoires étaient écrites et qu'il partait ensuite écrire les dialogues seul.
Lui ? Il ne savait pas écrire ! Non ! Non ! Il était formidable pour la mise en scène, un grand réalisateur. Mais il était ignorant. Il n'avait jamais lu un bouquin. Un jour il a vu sur ma table Voyage au bout de la nuit de Céline, qui était ma bible. Il m'a demandé : « C'est bon? ». J'ai dit : « Oui, c'est formidable ». Beaucoup de grands metteurs en scène et acteurs français ont cherché à le faire, mais c'est difficile. Gabin voulait le faire. Belmondo. Carné. Duvivier. Allégret…

Melville aussi.
Tous ! C'est un chef d'œuvre. C'est impossible d'en faire un film. Peut-être plusieurs. En tous cas, Leone a pris le bouquin. Il ne l'a pas lu. Il l'a fait lire à son beau-frère. Et puis il est allé à Paris. C'était l'époque où les jeunes français, après 68, ont redécouvert Céline. Et lui se promenait le livre sous le bras en disant : « C'est le rêve de ma vie », alors qu'il ne l'avait jamais lu. Je vais vous faire voir une chose (Vincenzoni va chercher une vieille édition italienne de Voyage au bout de la nuit). Pendant la guerre, il y avait eu une nuit de bombardements terrible sur ma ville. On s'était caché dans les caves. Le matin, je me suis sauvé par miracle. J'allais vers ma maison et sur une petite place, il y avait un type qui vendait des vieux livres. Sur sa table, j'ai trouvé un livre qui s'appelait Voyage au Bout de la Nuit. Le titre m'a intéressé et je l'ai acheté. C'est celle-ci, la copie que j'ai acheté ce matin-là. Ce livre m'a suivi toute ma vie. Naturellement j'ai d'autres copies, plus récentes, mais celui-là c'est celui que j'ai acheté à l'époque. C'est celui-là que Leone a vu sur ma table et lui a fait me demander « C'est bon ? ». Peut-être que c'est le plus grand roman du siècle.

Comment s'est passée l’écriture de Le Bon, la Brute et le Truand ? Au générique Age et Scarpelli sont crédités alors que je crois qu'ils sont très peu intervenus.
Laissez-moi vous raconter. J'ai inventé l’histoire dans une suite du Grand Hotel de Rome. On signait le contrat avec la United Artists pour Et pour quelques dollars de plus. Le président de UA, Arnold Picker a demandé : « What’s next ? ». Les américains aiment ça. Ils achètent deux films ensemble pour diviser les pertes éventuelles. Sergio Leone et le producteur Alberto Grimaldi étaient là. Ils ne savaient pas quoi répondre. Je leur ai dit : « Oui, on a un film. C'est formidable. Ça s'appelle Le Bon, la Brute et le Truand. C’est l’histoire de trois brigands qui traversent la guerre civile pour trouver un trésor de 100 000 dollars caché dans un tombe. » J'inventais à mesure que je racontais! Et le président a dit : « Bon. Combien ? ». C'était la première fois dans l'histoire du cinéma qu'une major achetait une histoire sans rien, dite par un fou. Et comme ça on a signé le contrat. Après, j'avais envie de travailler seul. Parce que j'avais beaucoup d'argent et que j'en avais marre de Sergio Leone. J'avais beaucoup travaillé avec Age et Scarpelli. Ce sont de très bons scénaristes. On avait fait quatre ou cinq films qui avaient été de grands succès, La Grande guerre, Séduite et abandonnée, Ces messieurs dames... Alors j'ai dit à Sergio : « Pourquoi ne prends-tu pas Age et Scarpelli ? » Il a trouvé que c'était une bonne idée et il les a appelés, mais Age et Scarpelli n'aimaient pas le projet, ils ne croyaient pas au western. Ils étaient trop pragmatiques : « On parle italien avec les holster ? C'est ridicule ! ». Ils ont donné quelques idées mais ils n'avaient pas envie alors à un certain moment, ils sont partis. Mais quand on a signé un contrat et qu’on a payé deux scénaristes de renom, pourquoi ne pas mettre leur nom au générique ? C'est bon pour le producteur. Mais j'ai écrit le scénario seul.

Vous connaissiez bien le genre?
J’ai vu tous les westerns. Leone aussi. Mais j’avais un autre regard que lui. Je me concentrais sur l’histoire. Sergio Leone avait une mémoire visuelle incroyable. Dans ses films, vous pouvez retrouver les meilleurs plans des films classiques. J'ai toujours cherché à injecter de l'humour dans ces films. Je ne les prenais pas au sérieux. Sergio Leone réalisait sérieusement une histoire dans laquelle il y avait beaucoup d'humour. Peut-être qu'il ne s'en rendait pas compte. Il avait un grand sens de l'humour, mais pas dans ses films. Il croyait qu’il faisait du Shakespeare et il n’arrêtait pas de me le répéter. Je me rappelle de la fois où on a rencontré Lee Van Cleef. Il venait de lire le scénario de Et pour quelques dollars de plus. On arrive à la réunion et on lui a demandé : « Alors, qu’est-ce que vous en avez pensé ? ». On attendait sa réponse, plusieurs acteurs avaient déjà refusé le rôle. Lee Van Cleef a juste dit : « C’est shakespearien ». Et là, Sergio Leone se tourne vers moi avec un grand sourire et me dit : « Alors, tu vois bien que c’est shakespearien ? ».

Vous n'avez pas travaillé sur Il Etait une fois dans l’Ouest mais vous avez écrit Il Etait une fois la révolution avec Sergio Donati.
Exactement. On s'était fâché pendant le montage de Le Bon, la Brute et le Truand. UA m'avait confié la responsabilité de m'assurer que le film ne durerait pas plus de deux heures. Et le premier montage de Leone durait trois heures. Il aimait ça, quand ça durait des siècles. J'avais cette responsabilité alors on s'est bagarré. Je lui disais : « Coupe ça, coupe ça. Ça c'est inutile... ». Il refusait. On s'est bagarré pendant des semaines. On s'est fâchés, fâchés, fâchés. À un moment je suis parti en claquant la porte. Après avoir fait Il Etait une fois dans l’Ouest, il devait faire Il Etait une fois la révolution. Mais lui et le producteur ne trouvaient pas l'argent pour le film, alors il m'ont contacté. Il m'a dit : « Si tu travailles sur le scénario, on pourra trouver l'argent ». Donc j'ai travaillé sur le scénario et j'ai trouvé l'argent chez United Artist.

Au départ le film devait être réalisé par Peter Bogdanovich.
Oui, mais ils se sont bagarrés tout de suite. Sergio Leone était arrogant. Peter Bogdanovich était arrogant aussi, encore plus que Leone. Alors ils se sont bagarrés. Leone insistait pour tourner de telle manière et Bogdanovich disait : « Écoute, le metteur en scène, c'est moi. Moi je n'aime pas le scope. Je veux tourner en 1.85. ». Leone a hurlé. A un certain moment, Leone a foutu Bogdanovich à la porte. Moi je m’étais bien entendu avec Bogdanovich et je savais que c'était un homme beaucoup plus cultivé que Leone. Alors j'ai appelé ma secrétaire et je lui ai dit : « Réserve-moi un ticket pour New York ». Le lendemain matin j'ai pris l'avion. Quand je suis arrivé chez United Artists, j'étais l'enfant chéri de United Artists parce que je leur avais rapporté beaucoup d'argent, je suis allé voir le président et je lui ai expliqué la situation, que Leone et Bogdanovich s’étaient fâchés, mais que Bogdanovich était un garçon de talent. Là, le président de UA m'a dit que Bogdanovich était en train d'arriver. Quand il est entré dans le bureau et qu'il a découvert que j'avais fait le déplacement depuis Rome pour mettre les choses au clair, il en a été très ému. On est devenus de grands amis. On se voit toujours. On s’est parlé au téléphone la semaine dernière. Après cette affaire, Sergio Leone voulait me faire faire la mise en scène !

Vous avez refusé ?
Oui. Je savais ce qui m'attendait si je réalisais un film produit par Sergio Leone. Donc j'ai dit non. Je ne voulais réaliser de western. Si je devais lancer ma carrière j'aurais choisi autre chose.

C'est bien Giancarlo Santi qui a commencé le tournage ?
Non. Jamais. Santi était l'assistant de Leone. Leone s'était mis en tête de faire le film et puis c'est tout.

A suivre, troisième et dernière partie de cet entretien, avec, notamment, des considérations très personnelles sur l'autre grand "Sergio" du western italien : Sergio Corbucci !

1 commentaire:

  1. Elle se trouve ou la partie 3? Je voudrais bien lire la suite de cet entretien très intéressant.

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