vendredi 23 octobre 2009

Rencontre entre Joe Dante et Roger Corman - 1ere partie

Une rencontre entre Joe Dante et Roger Corman, à l'issue d'une projection de "L'invasion secrète", formidable film de guerre de Corman, au New Beverly.

Rencontre entre Joe Dante et Roger Corman - 2e partie

Roger Corman et William Shatner sur The Intruder

Interview de Roger Corman par Leonard Maltin

Le réalisateur revient sur les débuts de sa société New World Pictures, créée au début des années 70 !

mercredi 21 octobre 2009

David Carradine dans : Cannonball! - 1976

(Presque) toutes les vedettes féminines de New World Pictures dans : Caged Heat - 1974

Le premier film de Jonathan Demme, et la meilleure bande-annonce signée Joe Dante et Allan Arkush. Avec aussi un commentaire très expressif lu par LA voix attitrée des bandes-annonces New World Pictures : Ron Gans.

mardi 20 janvier 2009

« LEONE A HURLÉ ! », ENTRETIEN AVEC LUCIANO VINCENZONI, pt 2

Suite de notre entretien avec le scénariste Luciano Vincenzoni, qui revient ici sur sa tumultueuse collaboration avec Sergio Leone.

Nous en arrivons donc à votre collaboration avec Sergio Leone. Concernant Et pour quelques dollars de plus, d'autres personnes ont participé à l’écriture sans être créditées au générique : Sergio Donati mais aussi Fernando Di Leo.
Je n'ai jamais connu Fernando Di Leo. Il est mort depuis. Je crois qu’il avait écrit un traitement. Après, Sergio Leone et son beau-frère ont ajusté ce traitement. Quand ils sont venus chez moi, sur la couverture il y avait écrit : par Sergio Leone et son beau-frère. Il n'y avait pas le nom de Di Leo. J'ai écrit le scénario que Leone aimait beaucoup. Sergio Donati a écrit une seule petite chose dans le scénario. Cette petite séquence avec le vieux qui vit à côté du chemin de fer et dont la maison tremble quand passe le train. C'est tout. Après, j'ai lu quelque part que ce pauvre Di Leo s’était fait rouler par Sergio Leone. Mais pas par Luciano Vincenzoni. Je ne le connaissais pas.

Vous avez écrit le scénario seul ?
Absolument seul. En neuf jours. Le Bon, la Brute et le Truand, onze jours. Ce sont les scénarios que j'ai écrit le plus rapidement de toute ma carrière, avec une vélocité incroyable.

Parce que quand on parle de l'écriture des films de Leone, on évoque souvent des réunions de travail de quatre ou cinq personnes où on se racontait les scènes.
Peut-être après mais pas avec moi. Je n'ai pas travaillé sur Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il West, Sergio Leone, 1968). A l'époque j'étais fâché avec Leone. Tout le monde, Bertolucci, Argento, répètent tout le temps: « C’est moi ! C’est moi ! » Rien ! Le seul qui ait écrit le scénario, c'est Sergio Donati, et seulement lui. Quand il a terminé le scénario, avant même de l'envoyer à Leone, il m'en a donné une copie. Il faisait quatre cent cinquante pages. Je l'ai lu, c'était formidable. C'était le film. Bertolucci est un voleur. Je crois que c'est un metteur en scène sans talent. Dario Argento ? Lui, c'est un idiot. Sergio Donati a écrit le scénario seul. Quelques jours avant la sortie du film Argento a donné une interview dans laquelle il disait « Ah ! Ah ! J'ai écrit Il était une fois dans l’Ouest ». Donati m'a téléphoné et m'a demandé « Tu as lu ? Qu'est-ce que tu en penses ? » Je lui ai
dit : « Envoie-lui une lettre d'un avocat. Je suis ton témoin ». C'est un voleur. Je déteste ces gens. Il y en a beaucoup en Italie.

Argento et Bertolucci sont crédités à l'histoire. Donati est le seul crédité au scénario.
Ils n'ont rien fait dans le traitement non plus. Leone les a chassé à coups de pied dans les fesses. Ils n'ont rien écrit. Ce sont des idiots.

Sergio Leone disait que les histoires étaient écrites et qu'il partait ensuite écrire les dialogues seul.
Lui ? Il ne savait pas écrire ! Non ! Non ! Il était formidable pour la mise en scène, un grand réalisateur. Mais il était ignorant. Il n'avait jamais lu un bouquin. Un jour il a vu sur ma table Voyage au bout de la nuit de Céline, qui était ma bible. Il m'a demandé : « C'est bon? ». J'ai dit : « Oui, c'est formidable ». Beaucoup de grands metteurs en scène et acteurs français ont cherché à le faire, mais c'est difficile. Gabin voulait le faire. Belmondo. Carné. Duvivier. Allégret…

Melville aussi.
Tous ! C'est un chef d'œuvre. C'est impossible d'en faire un film. Peut-être plusieurs. En tous cas, Leone a pris le bouquin. Il ne l'a pas lu. Il l'a fait lire à son beau-frère. Et puis il est allé à Paris. C'était l'époque où les jeunes français, après 68, ont redécouvert Céline. Et lui se promenait le livre sous le bras en disant : « C'est le rêve de ma vie », alors qu'il ne l'avait jamais lu. Je vais vous faire voir une chose (Vincenzoni va chercher une vieille édition italienne de Voyage au bout de la nuit). Pendant la guerre, il y avait eu une nuit de bombardements terrible sur ma ville. On s'était caché dans les caves. Le matin, je me suis sauvé par miracle. J'allais vers ma maison et sur une petite place, il y avait un type qui vendait des vieux livres. Sur sa table, j'ai trouvé un livre qui s'appelait Voyage au Bout de la Nuit. Le titre m'a intéressé et je l'ai acheté. C'est celle-ci, la copie que j'ai acheté ce matin-là. Ce livre m'a suivi toute ma vie. Naturellement j'ai d'autres copies, plus récentes, mais celui-là c'est celui que j'ai acheté à l'époque. C'est celui-là que Leone a vu sur ma table et lui a fait me demander « C'est bon ? ». Peut-être que c'est le plus grand roman du siècle.

Comment s'est passée l’écriture de Le Bon, la Brute et le Truand ? Au générique Age et Scarpelli sont crédités alors que je crois qu'ils sont très peu intervenus.
Laissez-moi vous raconter. J'ai inventé l’histoire dans une suite du Grand Hotel de Rome. On signait le contrat avec la United Artists pour Et pour quelques dollars de plus. Le président de UA, Arnold Picker a demandé : « What’s next ? ». Les américains aiment ça. Ils achètent deux films ensemble pour diviser les pertes éventuelles. Sergio Leone et le producteur Alberto Grimaldi étaient là. Ils ne savaient pas quoi répondre. Je leur ai dit : « Oui, on a un film. C'est formidable. Ça s'appelle Le Bon, la Brute et le Truand. C’est l’histoire de trois brigands qui traversent la guerre civile pour trouver un trésor de 100 000 dollars caché dans un tombe. » J'inventais à mesure que je racontais! Et le président a dit : « Bon. Combien ? ». C'était la première fois dans l'histoire du cinéma qu'une major achetait une histoire sans rien, dite par un fou. Et comme ça on a signé le contrat. Après, j'avais envie de travailler seul. Parce que j'avais beaucoup d'argent et que j'en avais marre de Sergio Leone. J'avais beaucoup travaillé avec Age et Scarpelli. Ce sont de très bons scénaristes. On avait fait quatre ou cinq films qui avaient été de grands succès, La Grande guerre, Séduite et abandonnée, Ces messieurs dames... Alors j'ai dit à Sergio : « Pourquoi ne prends-tu pas Age et Scarpelli ? » Il a trouvé que c'était une bonne idée et il les a appelés, mais Age et Scarpelli n'aimaient pas le projet, ils ne croyaient pas au western. Ils étaient trop pragmatiques : « On parle italien avec les holster ? C'est ridicule ! ». Ils ont donné quelques idées mais ils n'avaient pas envie alors à un certain moment, ils sont partis. Mais quand on a signé un contrat et qu’on a payé deux scénaristes de renom, pourquoi ne pas mettre leur nom au générique ? C'est bon pour le producteur. Mais j'ai écrit le scénario seul.

Vous connaissiez bien le genre?
J’ai vu tous les westerns. Leone aussi. Mais j’avais un autre regard que lui. Je me concentrais sur l’histoire. Sergio Leone avait une mémoire visuelle incroyable. Dans ses films, vous pouvez retrouver les meilleurs plans des films classiques. J'ai toujours cherché à injecter de l'humour dans ces films. Je ne les prenais pas au sérieux. Sergio Leone réalisait sérieusement une histoire dans laquelle il y avait beaucoup d'humour. Peut-être qu'il ne s'en rendait pas compte. Il avait un grand sens de l'humour, mais pas dans ses films. Il croyait qu’il faisait du Shakespeare et il n’arrêtait pas de me le répéter. Je me rappelle de la fois où on a rencontré Lee Van Cleef. Il venait de lire le scénario de Et pour quelques dollars de plus. On arrive à la réunion et on lui a demandé : « Alors, qu’est-ce que vous en avez pensé ? ». On attendait sa réponse, plusieurs acteurs avaient déjà refusé le rôle. Lee Van Cleef a juste dit : « C’est shakespearien ». Et là, Sergio Leone se tourne vers moi avec un grand sourire et me dit : « Alors, tu vois bien que c’est shakespearien ? ».

Vous n'avez pas travaillé sur Il Etait une fois dans l’Ouest mais vous avez écrit Il Etait une fois la révolution avec Sergio Donati.
Exactement. On s'était fâché pendant le montage de Le Bon, la Brute et le Truand. UA m'avait confié la responsabilité de m'assurer que le film ne durerait pas plus de deux heures. Et le premier montage de Leone durait trois heures. Il aimait ça, quand ça durait des siècles. J'avais cette responsabilité alors on s'est bagarré. Je lui disais : « Coupe ça, coupe ça. Ça c'est inutile... ». Il refusait. On s'est bagarré pendant des semaines. On s'est fâchés, fâchés, fâchés. À un moment je suis parti en claquant la porte. Après avoir fait Il Etait une fois dans l’Ouest, il devait faire Il Etait une fois la révolution. Mais lui et le producteur ne trouvaient pas l'argent pour le film, alors il m'ont contacté. Il m'a dit : « Si tu travailles sur le scénario, on pourra trouver l'argent ». Donc j'ai travaillé sur le scénario et j'ai trouvé l'argent chez United Artist.

Au départ le film devait être réalisé par Peter Bogdanovich.
Oui, mais ils se sont bagarrés tout de suite. Sergio Leone était arrogant. Peter Bogdanovich était arrogant aussi, encore plus que Leone. Alors ils se sont bagarrés. Leone insistait pour tourner de telle manière et Bogdanovich disait : « Écoute, le metteur en scène, c'est moi. Moi je n'aime pas le scope. Je veux tourner en 1.85. ». Leone a hurlé. A un certain moment, Leone a foutu Bogdanovich à la porte. Moi je m’étais bien entendu avec Bogdanovich et je savais que c'était un homme beaucoup plus cultivé que Leone. Alors j'ai appelé ma secrétaire et je lui ai dit : « Réserve-moi un ticket pour New York ». Le lendemain matin j'ai pris l'avion. Quand je suis arrivé chez United Artists, j'étais l'enfant chéri de United Artists parce que je leur avais rapporté beaucoup d'argent, je suis allé voir le président et je lui ai expliqué la situation, que Leone et Bogdanovich s’étaient fâchés, mais que Bogdanovich était un garçon de talent. Là, le président de UA m'a dit que Bogdanovich était en train d'arriver. Quand il est entré dans le bureau et qu'il a découvert que j'avais fait le déplacement depuis Rome pour mettre les choses au clair, il en a été très ému. On est devenus de grands amis. On se voit toujours. On s’est parlé au téléphone la semaine dernière. Après cette affaire, Sergio Leone voulait me faire faire la mise en scène !

Vous avez refusé ?
Oui. Je savais ce qui m'attendait si je réalisais un film produit par Sergio Leone. Donc j'ai dit non. Je ne voulais réaliser de western. Si je devais lancer ma carrière j'aurais choisi autre chose.

C'est bien Giancarlo Santi qui a commencé le tournage ?
Non. Jamais. Santi était l'assistant de Leone. Leone s'était mis en tête de faire le film et puis c'est tout.

A suivre, troisième et dernière partie de cet entretien, avec, notamment, des considérations très personnelles sur l'autre grand "Sergio" du western italien : Sergio Corbucci !

lundi 19 janvier 2009

The Quiller Memorandum (1966)

Bande-annonce originale du Secret du rapport Quiller (The Quiller
Memorandum, 1966) de Michael Anderson, écrit par Harold Pinter, d'après le livre d'Adam Hall.

dimanche 18 janvier 2009

« JE SUIS UN GRAND JOUEUR », ENTRETIEN AVEC LUCIANO VINCENZONI, pt 1

Première partie d’un entretien (lui-même premier d’une série) avec Luciano Vincenzoni, scénariste pour Mario Monicelli (La Grande guerre), Pietro Germi, resté célèbre pour sa longue collaboration avec Sergio Leone. Il a, en effet, écrit Et Pour quelques dollars de plus, Le Bon, la brute et le truand et co-écrit Il était une fois la révolution.
Plus qu’aucun autre, Luciano Vincenzoni est le scénariste qui aura symbolisé la perméabilité entre cinéma d’auteur et cinéma de divertissement, qui a fait du cinéma italien des années 50 à 70, un des plus passionnants de l’histoire.
Quand on arrive chez lui, à Rome, on est forcément fasciné par les lieux. Vincenzoni vit là depuis plus de quarante ans. Au cours d’une visite rapide, il me montre sa machine à écrire sur laquelle il a écrit ses scénarios, les prix qu’il a reçu... Il m’explique que pendant longtemps, il a gardé un second appartement, dans le même immeuble, où il accueillait ses amis en visite, comme Philippe de Broca, ou Billy Wilder. D’ailleurs, on ne peut pas ne pas remarquer l’omniprésence de souvenirs de Wilder, avec qui Vincenzoni a collaboré sur Avanti!, ainsi que sur quelques projets qui n’ont jamais vu le jour. Notamment, dans le salon, un énorme portrait du cinéaste, dont la dédicace dit « Désolé, cher Luciano, mais c’est la plus petite photo potable de moi que j’ai réussit trouver... ».


PREMIERE PARTIE : LES DEBUTS, DE PIETRO GERMI A DINO DE LAURENTIIS. SERGIO LEONE FAIT SON ENTREE...

Beaucoup de scénaristes italiens (Sergio Donati, Franco Solinas, Ernesto Gastaldi...) ont commencé leur carrière comme romanciers et se sont tournés vers le cinéma pour des raisons financières. Est-ce que c'est aussi votre cas ?
Non. J'ai eu la grande chance d'écrire une histoire qui a tout de suite été achetée. Ça s'appelait Hanno rubato un tram (1954). Aldo Fabrizzi qui était alors au sommet de sa popularité, l’a aimée et l'a achetée. Le film a eu beaucoup de succès et moi, qui venait de province, je me suis installé à Rome.

Vous vous êtes juste occupé du traitement ?
Oui. C’était en 1954. J'avais lu un article dans un journal qui racontait exactement l'histoire celle du film, sauf que ça se passait à Vienne. C’est l'histoire d'un contrôleur de tramway qui a toujours menti à son fils en lui faisant croire qu'il est conducteur. Il entretient le mensonge jusqu'au jour où l'enfant doit aller à l'école et, pour s’y rendre, prendre le tramway où travaille son père. Là, le père décide de voler le tram, avec son fils dedans, pour continuer le mensonge. Très vite, ce train devient une espèce de cours des miracles. Toutes les putains, tous les clochards de la ville montent sans payer et ça devient une grande fête. A l'aube, la police arrête le père et le met en prison. Après vient le procès et le juge comprend que cet homme a le droit de conduire un tramway. C'est tout. J'ai vendu ça à Aldo Fabrizzi qui, après, a fait le film avec ses scénaristes.

Le deuxième film que vous avez écrit était Il Ferroviere (Le Disque rouge, Pietro Germi, 1956).
Avant j'avais écrit quelques films de B. J'étais un ghost writer. Mais mon deuxième film important, c'était Il Ferroviere, oui.

C'était votre première collaboration avec Pietro Germi. Comment vous êtes vous rencontrés et comment s'est passée l'écriture du film ?
Oh... c'est toute une histoire. On était amis. A l'époque, Germi traversait une crise. Personne ne voulait lui signer de contrat parce qu'il avait laissé tombé deux films. On avait terriblement besoin d'argent. A l'époque j'avais lu un livre de Gilbert Cesbron, Les Saints vont en enfer, un roman formidable. Formidable! J'ai dit à Germi de le lire. Il l'a lu et a dit : "Formidable! C'est le film que je veux faire". Mais il devait aller à Paris pour parler avec Cesbron et nous n’avions pas d'argent. J’en avais un peu mais, lui, zéro. Alors on est allé dans un mont de piété et on a apporté des objets, ma montre et son appareil photo. Il est parti à Paris. Il a rencontré Cesbron qui était d'accord sur le principe. Mais il avait promis au Cardinal Ferte de ne pas vendre les droits du roman pour le cinéma. Il avait fait cette promesse parce que l'histoire était terrible pour l'Église. Alors Germi est rentré en Italie. On était sans montre, sans appareil photo et sans les droits du livre. A ce moment là, un écrivain, Alfredo Gianetti, a donné un traitement à lire à Germi. Germi l'a lu et l'a trouvé pas mal. Il me l'a fait lire. C'était très bon. C'était Il Ferroviere. On a commencé à écrire le scénario, le film a eu un énorme succès et la carrière de Germi a été relancée.

C’est à la suite de ce succès que vous avez enchaîné sur La Grande guerre (La Grande guerra, Mario Monicelli, 1959) ?
Ça c'est encore une autre histoire. Il Ferroviere avait eu un grand succès. Énorme ! Mais après j'ai eu un passage à vide. Je ne travaillais pas. Je n'avais plus d'argent. Je vivais dans un petit appartement. Un jour, je me suis rendu compte qu’il ne me restait plus que mille lires. Je me suis demandé si j’allais les dépenser dans une boule de mozzarella et un verre de lait, ou plutôt dans un taxi pour aller essayer de rencontrer le plus grand producteur italien de l'époque, ce mythe, Dino de Laurentiis. J'ai décidé de prendre le taxi pour aller aux studios de De Laurentiis. A la moitié du voyage, tac, le compteur dépasse les mille lires. Mille deux cent… Mille trois cent… Je n'avais pas d'argent pour payer. Quand on est arrivé au studio, le compteur marquait mille sept cent lires. Je suis descendu et avec beaucoup de dignité j'ai dit : « Vous m'attendez, naturellement ». L'attitude que j'avais, le prix... Le chauffeur a répondu « Mais oui, monsieur le Comte ! ». Je suis entré dans le studio, en cachette, derrière un camion parce que je n'avais pas d'autorisation. Je me suis présenté devant la secrétaire de Dino de Laurentiis et je lui ai dit : « Je voudrais parler avec De Laurentiis ». Elle a demandé : « Qui êtes-vous ? ». Non ! Elle a dit : « Qui es-tu? ». J’ai répondu : « Mais je suis Vincenzoni ! ». J'avais déjà téléphoné plusieurs fois et elle m'avait toujours dit « Non, il est en réunion... ». Quand je lui ai dit qui j'étais, elle s'est mise en colère : « Mais pourquoi vous êtes venu? Je vous ai déjà dit non ! », « Mais je voudrais parler avec M. De Laurentiis ! », « Il est en réunion en ce moment ! ». J'ai demandé : « Madame, ou mademoiselle? ». Elle a dit « Mademoiselle ». « Mademoiselle, je ne veux pas avoir à vous mettre de coup de pied dans les fesses. Je vais parler avec De Laurentiis et c’est tout ». Et je suis entré dans le bureau. A la table de De Laurentiis, il y avait le metteur en scène Carlo Lizzani et un avocat. De Laurentiis m'a vu et m'a dit « Qu'est-ce que vous faites ici ? Comment êtes-vous entré ? » J'ai dit « Je veux vous parler, je suis scénariste, j'ai des idées ! » « Je vais appeler la police ! » « Vous n'aurez pas le temps parce que si vous faites ça, je saute par la fenêtre ». Carlo Lizzani, qui me connaissait vaguement a dit à Dino : « On a terminé. Vincenzoni est un jeune scénariste. Donne-lui une chance de parler, enfin ! ». Finalement, De Laurentiis m'a dit : « Je te donne quinze minutes. Assieds-toi. Qu'est-ce que tu as ? ». J'avais toutes mes histoires avec moi : La Grande guerre, The Best of Enemies (Guy Hamilton, 1962), Il Gobbo (Le Bossu de Rome, Carlo Lizzani, 1960)… J'ai raconté, j'ai raconté, j'ai raconté. A un certain moment, il m'a arrêté et m'a dit : « Je vous ai donné quinze minutes et ça fait plus de deux heures que vous parlez. Vous avez raconté sept histoires. Je les achète toutes. Combien? Vous avez besoin de 100 000, 200 000, 300 000 ? » Alors il s'est tourné vers l'avocat qui était là et lui a dit : « On lui paye un million chaque histoire. En plus on lui fait signer un contrat d'exclusivité pour trois ans à un million par mois ». Je suis entré j'étais pauvre, je n'avais même pas d'argent pour payer le taxi et je suis sorti millionnaire. Il m'a dit « Viens demain matin à neuf heures pour signer le contrat ». Je m’apprêtais à partir quand je me suis souvenu que j'avais le taxi qui attendait depuis deux heures. Alors j'ai dit « M. De Laurentiis, rendez-moi service, je n'ai pas d'argent et j'ai un taxi qui attend ». Il a appelé son administrateur et il a demandé combien il y avait dans la caisse « Deux millions trois cent », « Prends deux millions et donne-les à ce garçon ». Deux millions de lires à l'époque, c'était beaucoup. Je suis sorti. Dans le taxi, il n'y avait pas le chauffeur. Il était couché sur la banquette arrière. Il pensait que je l'avais roulé. Quand il m'a vu il a dit : « Ah ! Vous êtes revenu M. le Comte! », « Qu'est-ce qui vous a fait penser que j'aurais pu partir ? Il y a un bon restaurant à Rome où vous aimeriez manger ? ». « Il y a bien Gigi. Mais c'est trop cher », « Allez, on y va. Je vous invite parce que vous m'avez porté chance ». On y est allé, on a fait un repas incroyable et lui, le pauvre, ne se doutait pas que pour moi aussi c'était le premier vrai repas que je faisais depuis trois mois. C'est comme ça que j'ai commencé ma carrière avec Dino De Laurentiis. J'ai travaillé pendant trois ans pour lui. Après nous nous sommes fâchés, je suis parti et je me suis associé avec Pietro Germi. On a fait deux films qui ont gagné des prix à Cannes, Séduite et abandonnée (Sedotta a abbandonata, Pietro Germi, 1964) et Ces messieurs dames (Signore & signori, Pietro Germi, 1965). Après j'ai rencontré Sergio Leone et Billy Wilder, et puis je suis allé en Amérique avec Dino de Laurentiis. J'y ai travaillé comme scénariste et comme producteur.

Vous parlez de Orca (Michael Anderson, 1977) ?
Oui. Je l'avais écrit avec Sergio Donati. On avait un scénario formidable. Dino De Laurentiis, vulgaire et arrogant comme tous les producteurs, surtout les napolitains, a décidé qu'il avait besoin d'américaniser l'histoire. Il a fait venir un scénariste américain, Lorenzo Semple Jr. [Robert Towne aurait également travaillé sur le scénario sans être crédité], qui a ruiné notre scénario. Je me suis battu, mais il n'y avait rien à faire. Pendant la production, j'étais le producteur. J'ai cherché à remettre en place les choses détruites par cet idiot. Mais c'était impossible. En tous cas le film a eu un grand succès, surtout en télévision et il continue à passer régulièrement.

Une suite était d’ailleurs prévue.
Non. J'avais dit à De Laurentiis qu'il fallait en faire une. J'avais même une idée. Mais il ne m’a pas écouté.

Pourtant ça a été annoncé. Joe Dante devait le réaliser. Il avait été contacté après le succès de Piranha (Piranhas, Joe Dante, 1977).
Je ne savais pas. Joe Dante est un ami à moi. On a un contrat ensemble. Il devait réaliser un scénario que j'avais écrit avec Sergio Donati, Pizza and Tomahawk. Une comédie formidable. C'est l'histoire d'un idiot italien qui s'enfuit de Sicile parce la mafia veut le tuer. Il arrive en Amérique et il se cache dans une réserve indienne. Là, il apprend aux indiens à faire la pizza ce qui le rend très célèbre et populaire dans la réserve... C'était une histoire incroyable.

Vous aviez aussi collaboré sur une suite à Le Bon, la Brute et le Truand (Il Buono, il bruto, il cattivo, Sergio Leone, 1966) qu’il devait réaliser.
Oui. Je l'ai écrit. J’en ai même un exemplaire ici. J'ai signé un contrat avec Joe Dante quand il n’était personne. Je l'avais présenté à Dino De Laurentiis. J'avais dit « Dino, voilà un metteur en scène de grand talent ». Vous connaissez Dante ? Il est tout petit. Dino l'a regardé un moment et il m'a dit : « Je n'aime pas ses cheveux ». Il ne l’a pas signé à cause de ça !

Au bout du compte, pourquoi avoir cessé de collaborer avec Germi ?
Quand on faisait Ces messieurs dames, une histoire autobiographique tournée dans ma ville natale, j'ai eu un malentendu avec lui après dix ans de collaboration et je suis parti. Dans ma vie j'ai eu de grandes douleurs, d'amour ou d'amitié. Dans ces cas là, l'unique médicament pour moi, c'est le jeu. Je suis un grand joueur. Au lieu de rentrer à Rome je suis allé au casino de Venise. J'ai joué éperdument pendant deux semaines et j'ai perdu tout l'argent que j'avais. Je suis entré à Rome sans un sou. J'ai trouvé dans la boite à lettres toutes les factures à payer, l’électricité, le chauffage, tout, tout, tout. Et je n'avais pas un sou. J'étais désespéré. J'ai pensé à me suicider ! J'étais dehors, ici, sur le rebord de la fenêtre. Toc, toc, toc. Il y a quelqu'un à la porte. J'ai ouvert. Sergio Leone est entré. Il était énorme ! Je me rappelais qu’il était épais comme mon petit doigt à l’époque où il était assistant réalisateur. Je l'avais connu sur mon premier film, Hanno rubato un tram. Le metteur en scène, Mario Bonnard, était tombé malade et Leone l’avait remplacé. Le premier film de Leone, c'était aussi le mien ! A l’époque, il était tout maigre. Et cette fois là est entré un type énorme. Il avait vu mes films, La Grande guerre et les autres et il m'a dit « J'ai ce traitement que j'ai écrit avec mon beau-frère [Fulvio Morsella] ». J'ai accepté. C’était Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più, Sergio Leone, 1965). Ils m'ont payé vingt-cinq millions, j'ai écrit le scénario, et là sont arrivés succès et argent.

A suivre, dans la seconde partie de cet entretien, la collaboration compliquée entre Luciano Vincenzoni et Sergio Leone !